Aujourd’hui, rencontre avec Jean-Claude Lafargue, Racingman de 1982 à 1988, devenu formateur puis Directeur de la préformation à l’INF Clairefontaine. Ce grand éducateur revient sur sa carrière de joueur en « Ciel et Blanc » avant d’aborder, avec nous, la vision qu’il entretient de son métier entre football et appréhension de la jeunesse.
Bonjour Monsieur Lafargue, pour commencer cette interview, revenons trente-huit ans en arrière. Nous sommes en 1982, vous êtes alors un joueur du Paris FC au moment du rapprochement avec le Racing. Quels souvenirs gardez-vous de ce début d’aventure en Ciel et Blanc ?
Bonjour à tous. Alors, 1982, le rapprochement entre le Racing et le PFC, c’est le mariage de deux mondes du football. Le Racing plein de panache et de promesses, avec des footballeurs stars et un palmarès déjà important, un club connu et reconnu mondialement. Le Paris FC c’était plutôt le club de la jeunesse, un vrai vivier du football francilien. On le voit aujourd’hui, c’est encore un club très performant du point de vue de la formation. La rencontre de ces deux univers différents, avec à sa tête un grand président, Jean-Luc Lagardère, nous a conduit à des objectifs importants qui devaient dépasser le cadre national, la perspective était à l’époque européenne. C’était très stimulant.
Vous finirez par rester six saisons au club avec au passage un titre de Champion de France de deuxième Division en 1986 après une double confrontation légendaire contre Saint-Étienne. Ce « Match des Champions » reste un moment important dans votre carrière de joueur…
L’année 1986, et la première montée avec le Racing. Des rencontres que j’oserais qualifier d’historiques. D’abord, le match de la montée contre l’OGC Nice et bien sûr, la double confrontation avec Saint-Étienne pour le titre de champion. J’ai connu d’autres moments importants, car j’ai commencé à jouer en professionnel à 15 ans et demi au Paris FC, mais disons que ces périodes font parties des instants marquants dans une carrière de footballeur car tout vous réussit. On se sent invincible. C’est visible dans toutes les grandes compétitions, notamment européennes, il y a cette part de réussite chez certaines grandes équipes où, malgré des scénarios incroyables, elles finissent toujours par s’imposer. Toutes proportions gardées, c’est cette sensation qu’il me reste aujourd’hui de cette époque.
Après votre carrière, vous devenez d’abord formateur (2001-2013) puis Directeur de la préformation à Clairefontaine (2013-2019). Si il ne devait vous rester qu’une chose de cette longue carrière au sein de l’institution par excellence de la formation à la française…
Je suis resté dix ans comme conseiller technique en Seine-Saint-Denis pour la Fédération avant mon arrivée à Clairefontaine qui marque, quand même, mon passage dans un « autre monde ». Un monde de connaissance et de travail où j’ai côtoyé de grands entraîneurs comme Claude Dusseau, André Merelle ou Francisco Filho. Là-bas, j’ai compris l’importance de la prise en compte du développement de l’enfant dans le travail de formation, qui plus est au moment où nos jeunes footballeurs entament une période de grandes transformations morphologique et physiologique. À partir de ces informations, le formateur doit se projeter vers l’avenir. Dans l’optique d’une prise de décision, un entraîneur de jeunes ne pourra jamais se contenter du constat sur le moment. J’ai compris que la projection est cœur de notre métier.
Vous avez vu passer un bon nombre de futurs champions à Clairefontaine. Question classique, mais lequel de ces joueurs vous a le plus marqué ?
En dix-sept ans à Clairefontaine, j’ai bien entendu vu passer un certain nombre de futurs grands joueurs. Je ne peux pas dire qu’un ait été plus important qu’un autre. Quand vous êtes formateur, vous voulez avant tout que vos joueurs réussissent leurs vies, peu importe la manière ou le chemin qui a été pris pour y arriver. La matière première que l’on enseigne, le football, peut se révéler essentielle, ou devenir simplement secondaire, un appui pour être plus performant ailleurs. Parce que le but de la vie c’est avant tout de pousser son potentiel. Aujourd’hui, j’ai des anciens joueurs qui sont devenus médecins et qui n’analysent pas leur période football comme un échec mais plutôt comme une force qui les aide tous les jours dans leur milieu professionnel. C’est une grande satisfaction pour moi, au même titre que ceux qui ont réussi des grandes carrières dans le football.
Pour terminer, en tant que grand formateur, avez-vous un dernier conseil pour nos éducateurs qui, avec leurs équipes, représenteront le Racing dès la reprise des championnats ?
Je vais dire des banalités, parce que tout le monde les dits, mais d’un autre côté c’est vrai et je le pense d’autant plus sincèrement que je suis, moi aussi, un éducateur. Nous sommes des travailleurs de l’ombre qui doivent composer avec la « matière humaine ». L’humain est en permanente évolution, notre travail ne conduit jamais à l’obtention d’un «produit fini ». Notre rôle est très important dans la construction du futur footballeur mais aussi de l’homme. Nous sommes au début de cette grande histoire qu’on appelle la vie. Pour être pertinent dans notre rôle, nous devons préserver un espace de liberté pour nos joueurs, les laisser faire leurs erreurs… Il est primordiale que le jeune puisse mettre en application ce qu’il apprend et le tester. Il est donc important de ne pas tomber dans le dirigisme. L’essentiel est de maintenir la discussion en permanence avec lui pour qu’il comprenne et adhère aux ajustements qui s’imposent. Le joueur doit rester un acteur de son développement. Accepter qu’il rate des choses permet de préserver un environnement de confiance propice à ce qu’il devienne autonome vis-à-vis de ses choix notamment de le contexte particulier de la compétition…
Interview par Baptiste Boulfort.